Rétrospective 2021 – comment modéliser la réaction des audiences aux actualités ?

Dans un précédent article, nous expliquions comment constituer un dataset exhaustif de posts Facebook. The Metrics Factory a suivi l’activité de 16 médias francophones depuis plus d’un an. Nous allons plus particulièrement nous intéresser aux publications de l’année en cours (période du 1^er janvier au 1^er décembre 2021) afin de comprendre comment les audiences de ces médias réagissent à l’actualité. Notre jeu de données se compose de 254.803 posts Facebook, cumulant plus de 202 millions d’engagements (50,7 millions de commentaires, 127,3 millions de réactions et 24,1 millions de partages).

L’activité de ces médias est régulière : on visualise aisément la saisonnalité des publications avec des pics les jours ouvrés et des creux le week-end. La réaction des audiences est, quant à elle, plus volatile, les pics ne suivent pas toujours le motif dessiné par le volume des publications.

Ce sont en moyenne près de 800 posts qui sont publiés chaque jour par ces médias. Certains acteurs contribuent plus que d’autres à la couverture de l’actualité. Ainsi, La Provence a publié 28.514 posts au cours de cette période (85 posts / jour en moyenne), ce qui représente 10x plus de messages que Brut. La performance de ces contenus peut être évaluée en fonction du volume total d’engagements ; Brut cumulant plus de 13.8 millions d’interactions (4919 interactions en moyenne par post), contre 11.8 millions pour La Provence (417 interactions en moyenne par post), nous pourrions en conclure que les publications du néo-média sont beaucoup plus stimulantes.

La réaction des audiences est protéiforme. Dans le cadre de notre analyse, cette réaction est évaluée en fonction d’indicateurs de performance (nombre de likes, de commentaires, de partages, etc.) qui représentent certaines actions effectuées par les internautes sur l’interface, mais dont les effets sur le comportement individuel sont difficilement interprétables. Par exemple, un like ne signifie pas forcément l’approbation unilatérale du contenu par le lecteur. L’analyse des contenus au travers de ces indicateurs témoignent de comportements hétérogènes et, sans pondérer l’activité de chaque média, dressent des classements imparfaits.

Analyser la performance des posts révèle la performance de la statégie de community management des médias

Le top 10 des posts cumulant le plus d’engagements révèle une réalité tout à fait différente dès lors que l’on change d’indicateur. Par exemple, dans cette première série, les posts de Brut sont sur-représentés. Il n’y a pas non plus une seule actualité, couverte par l’ensemble des médias, qui l’emporte. En revanche, on peut noter qu’au 3e trimestre, 2 actualités ressortent principalement du top 10 : le décès de Jean-Paul Belmondo et la couverture des manifestations contre le pass sanitaire par Brut.

Les posts les plus commentés

Le classement en fonction du nombre de commentaires dessine une autre réalité, avec la sur-représentation des publications de BFM TV et des actualités politiques. Nous pouvons émettre certaines hypothèses : ces sujet seraient « polémiques » et appellent au débat, entre internautes, tenu au travers de la fonction de commentaire ; en éditorialisant leurs contenus certains médias suscitent de plus forts volumes de commentaires.

Comment mesurer la sur-performance d’un post ?

D’une manière générale, les médias que nous étudions drainent une audience importante et la forte visibilité de leurs contenus sur Facebook suscitent un grand nombre d’interactions : seule une infime minorité des posts n’ont reçu aucune interaction. La question n’est pas de savoir si les posts font réagir, mais quand ils font réagir plus qu’à l’accoutumée. Peut-on observer un « sur-engagement » sur certains posts ? Pour cela, il nous faut calculer un taux d’engagement – usuellement on défini ce taux d’engagement en divisant la somme des interactions par le total d’impressions du message. Or, nous ne sommes pas administrateurs de ces pages et nous ne disposons donc pas du nombre d’impressions (données privée). Notre méthode consiste donc à calculer la performance moyenne du média sur 7 jours glissants. Ainsi, nous obtenons un taux de « sur-engagement » qui nous indique si un post a suscité une réaction plus ou moins forte que la moyenne hebdomadaire du média. Ce taux peut être normalisé pour obtenir un score compris entre -1 et +1. Un score de -1 signifie que le post est en « sous-réaction » par rapport à la performance hebdomadaire du média, un score de +1 signifie que le post est en « sur-réaction ». En calculant ce taux pour nos trois fonctionnalités principales (like / commentaire / partage), nous pouvons modéliser en 3 dimensions l’engagement des audiences sur les posts.

Ci-dessous, un graphe interactif représente un échantillon aléatoire de 2000 posts, et permet d’identifier les posts en fonction de la nature de la réaction :

• sur-réaction totale : tous les indicateurs sont supérieurs à la moyenne hebdomadaire du média
• sur-like / sur-commentaire / sur-partage : seul un indicateur est supérieur à la moyenne hebdomadaire du média
• sous-reaction : tous les indicateurs sont inférieurs à la moyenne hebdomadaire du média

En filtrant, cette modélisation nous permet d’analyser la nature de la réaction aux posts concernant un sujet. Par exemple, le graphe ci-dessous modélise les publications Facebook partageant un article citant la marque BNP Paribas.

Sur l’ensemble de notre base, deux tiers des publications sont en sous-réaction tandis que 12,5% des posts ont généré une sur-réaction totale. Cependant, cette minorité de posts en sur-réaction cumulent plus de la moitié des engagements (52.9%).

Pour identifier les faits marquants de 2021, il faut analyser des sujets plutôt que des posts…

Jusqu’à présent, nous avons analysé les interactions sur des posts, ce qui nous a fourni des classements relativement imparfaits car des publications très virales peuvent truster les classements. Nous effectuons donc un clustering pour regrouper les posts similaires en « sujets ». En effet, la plupart des posts effectués par les médias partagent un lien vers un article. Nous nous appuyons sur le contenu de ces publications pour regrouper nos posts en sujets d’actualités. Nous analysons ici des sujets d’actualités et non pas des thèmes, c’est à dire que nos groupes correspondent à des rapprochements entre publications très similaires sur une séquence médiatique généralement courte. Par exemple, l’attentat de Rambouillet se compose de plusieurs sujets : le faits relatés en direct, le portrait de l’assaillant, le portrait de la victime, etc. De même, nous n’avons pas un seul sujet relatif à Emmanuel Macron, mais toute une série de sujets correspondants à ses différentes prises de paroles ou séquences médiatiques. Ainsi, sur la période de 1er janvier au 1er décembre 2021, nous avons regroupé nos 254.083 posts en 20.655 sujets.

Le graphe interactif ci-dessous, vous permet de consulter 3000 sujets aléatoires :

Cette cartographie met en évidence une typologie de sujets selon la nature de la réaction des audiences. L’axe des abscisses nous informe sur la sous-performance ou la sur-performance du sujet, tandis que l’axe des ordonnées présente des sujets plutôt dans un régime de communication (émoi, sensationnalisme…) ou de l’information (factuel, ). Par exemple, les sujets relatifs aux décès de personnalités ou aux affaires judiciaires suscitant un émoi ou une polémique sont situés dans la partie haute de la cartographie, tandis que les sujets très factuels (régime d’information plutôt que de communication) tendent vers le bas.

Ainsi, on peut dresser une typologie de sujets : les sujets polémiques / clivants en régime de sur-commentaire, les sujets à sensations en sur-réaction totale, les sujets mobilisateurs en régime de sur-partage, etc..

Nous pouvons illustrer ces diverses réactions au travers de plusieurs classements, dont nos indicateurs sont :

• la nature de la réaction des audiences : les publications Facebook ont-elles en moyenne surperformées ?,
• la couverture média : nombre de médias ayant couvert le sujet
• la couverture éditoriale : le nombre de publications relatives au sujet
• la résonance : le volume d’engagements total sur Facebook

Ce qu’il faut retenir de cet article :

• La réaction des audiences aux contenus publiés sur les réseaux sociaux est protéiforme. Derrière des fonctionnalités d’interactions standardisées, on retrouve des comportements et des motivations très hétérogènes. Dans ce cadre, la création d’indicateurs de performances pose la question de la mesure et de l’interprétation.
• L’analyse de la performance d’acteurs matures sur le social media pose la question de la création de nouveaux indicateurs. Puisque la quasi totalité des contenus suscite des interactions, la question n’est plus de savoir si les posts font réagir, mais quand ils font réagir plus qu’à l’accoutumée. Peut-on observer un « sur-engagement » sur certains posts ?
• La création d’indicateurs de surperformance dépend du cadre de la mesure. Pour l’administrateur de la page Facebook, le taux d’engagement peut être défini à l’aide du nombre d’impressions du message. Cet indicateur étant indisponible pour les pages et posts publics, il est nécessaire de trouver une autre métrique. Pour cet article, nous avons choisi de calculer notre taux d’engagement par rapport à la performance moyenne hebdomadaire du média. D’autres métriques sont possibles…
• L’analyse des posts selon ces indicateurs de sur-performance révèle des bonnes pratiques éditoriales, néanmoins il est nécessaire de procéder à des regroupements (classification ou clustering) pour cartographier des tendances. Ici, nous avons construit une typologie et classé des sujets d’actualité en fonction de la nature de la réaction.