Les marques de produits cosmétiques profitent de la période commerciale de Noël pour acquérir et fidéliser leurs clients. Le calendrier de l’avent est un produit d’appel, très attendu par les consommatrices, qui leur permet de découvrir de nouveaux produits de beauté à bas prix. Une simple requête dans le moteur de recherche de Youtube permet de comprendre l’importance de ce moment de consommation et de communication pour les marques. Les résultats foisonnants révèlent une diversité de contenus : on y trouve les clips promotionnels de marques, mais surtout un grand nombre d’UGC produit de manière plus ou moins spontanée.
The Metrics Factory a mis en oeuvre un pipeline complexe de traitement de données permettant de collecter et d’analyser ces contenus, et plus spécifiquement, en s’appuyant sur des algorithmes de deep learning de mieux comprendre le discours d’influenceurs et la réaction de leurs audiences.
Notre dataset :
A titre d’illustration, nous avons compilé 35 vidéos d’unboxing du calendrier de l’avent d’Yves Rocher. Ces vidéos sont très similaires, puisque ce sont des consommatrices francophones – parfois influentes et professionnelles – qui présentent face caméra, avec force de détails, le calendrier et émettent un avis le plus souvent structuré et argumenté à propos de son contenu. Les vidéos suivent un schéma narratif quasi identique, débutant par une courte présentation de la marque, suivi d’un long déballage de chaque case et une présentation des produits, puis se conclu par l’émission d’un avis plus ou moins positif concernant le calendrier. Parmi ces vidéos, seule une minorité (5 vidéos) sont des comparatifs présentant plusieurs calendriers hiérarchisés selon l’intérêt porté par l’influenceuse.
Au-delà de ces partis-pris éditoriaux, notre jeu de données présente quelques caractéristiques remarquables :
- Ce sont des relais d’audience pour la marque : ces vidéos produites par des consommatrices cumulent 320k vues pour 22k engagements. A titre de comparaison, la chaine Youtube officielle d’Yves Rocher France n’a pas publié de vidéo concernant le calendrier de l’avent 2021. L’an passé, la marque avait publié une vidéo courte d’upcycling de son calendrier en partenariat avec Marie Claire ; la performance atteignait 4200 vues.
- La marque peut y déployer un storytelling complexe : la grande majorité de ces vidéos sont longues : en moyenne, elles durent 19 minutes ; le premier quartile se situe à 16 min et la vidéo la plus longue s’étend à 46min. A titre de comparaison, la durée moyenne des vidéos publiées cette année par la chaine officielle d’Yves Rocher est inférieure à 35 secondes.
- Ce sont des espaces conversationnels : nous recensons 1500 commentaires sous nos quelques vidéos d’unboxing. Inversement, l’ensemble des productions de l’année de la chaine officielle d’Yves Rocher ne cumule qu’une trentaine de commentaires.
Notre méthodologie :
A l’aide de technologies deep learning, nous avons dans un premier temps effectué une retranscription automatique des vidéos publiées par les influenceuses pour pouvoir analyser la structure de leur discours et la nature de leurs stimuli auprès de leurs audiences. Nous avons dû lever plusieurs verrous technologiques pour obtenir des retranscriptions exploitables ensuite pour une analyse NLP. En effet, la qualité de la retranscription des pistes audio peut être très hétérogène pour plusieurs raisons :
- La qualité intrinsèque du contenu produit par l’influenceur : toutes les vidéos n’ont pas été enregistrées avec un matériel « professionnel » (parfois juste avec un téléphone portable), ou sans mastering audio. L’influenceur peut aussi user d’effets de montage, coupant plus ou moins volontairement certains mots, ou rendant difficile sa retranscription (présence d’habillages sonores, beeps ou jingles …)
- L’influenceur module sa voix, accélère le rythme de sa diction, articule mal ou présente un accent prononcé, ce qui peut entrainer des erreurs ou des « pertes » (certaines portions de phrases sont mal retranscrites, voire ne le sont pas du tout)
- L’influenceur utilise un langage courant, « naturel », qui n’est pas littéraire. Il peut faire des fautes de français à l’oral et recourir à un grand nombre d’expressions spécifiques au contexte. Par exemple, dans notre cas, le vocabulaire propre aux cosmétiques sera sur-représenté tout comme l’usage d’onomatopées, de certains adjectifs et adverbes répétés.
C’est pourquoi, après une première retranscription, nous avons « adapté » notre modèle au contexte de nos vidéos analysées et effectué une correction manuelle des retranscriptions pour constituer un corpus exploitable.
L’analyse de la voix des influenceuses
La majorité des vidéos analysées usent d’une narration similaire, dictée par des logiques de médiatisation de ces acteurs, que l’on peut décomposer en trois temps forts : une introduction, le déballage – éventuellement le test – de chaque produit, et l’émission d’un avis en conclusion. C’est pourquoi nous avons compilé et analysé trois corpus en fonction de ces moments. A noter que la marque est centrale dans le discours des influenceuses, nous recensons 215 mentions de la marque Yves Rocher, tandis que les concurrents ou distributeurs sont rarement évoqués : Sephora (23 occurrences), Armani (8), Nocibé (7), Amazon Beauty (7), YSL (6), Clarins (6), L’Oréal (5), NYX (5), Lancôme (4) …
- Capter l’attention de l’audience le plus vite possible
L’introduction est particulièrement stéréotypée, et débute systématiquement par une accroche dont l’objectif est de créer le plus rapidement possible un sentiment de proximité entre l’influenceuse et son audience (« Hello hello tout le monde », « Coucou mes abonnées », « Kikou les filles » …). Environ 30% de la retranscription porte sur un discours général (« on se retrouve pour une nouvelle vidéos », « je vous présente le calendrier de l’avent Yves Rocher », « on va découvrir ensemble le contenu »).
Le sujet est véritablement introduit par une description générale du produit : son packaging, son esthétique, son rapport qualité / prix. L’influenceuse émet dès l’introduction un premier avis d’ordre général (« je le trouve franchement beau ») tout en décrivant l’objet (le dessin de hibou, les 24 cases dorées, la prose inscrite sur le packaging…). Les influenceuses se positionnent par rapport à l’antériorité de leur relation à la marque (la plupart déclarent avoir l’habitude d’acheter chaque année ce calendrier de l’avent ; pour quelques-unes c’est une véritable découverte).
A noter que les influenceuses multiplient les répétitions des verbes d’action, et plus particulièrement du verbe « aller », pour créer une tension – un suspens – et capter l’attention de leurs audiences en insistant sur le fait qu’il va se passer quelque chose (« On va unboxer le calendrier dans quelques instants », « Devinez un peu ce que je vais vous montrer », « je vais vous dire quelque chose », « allez, on y va ! »). Elles témoignent de leur impatience de découvrir le contenu.
2. Le discours de la marque porté par la voix des youtubeuses
Les influenceuses passent en revue chaque case du calendrier, révélant produit après produit le contenu de l’objet. D’une manière générale, le calendrier est abordé sous l’angle de la découverte des produits de la marque Yves Rocher. Les influenceuses apprécient la diversité des produits proposés : des soins corps, visage, cheveux, du maquillage et du parfum sont proposés par la marque. La plupart des produits sont appréciés et le commentaire des influenceuses se résume le plus souvent à la monstration du produit. Nous ne sommes pas ici face à un discours de conseil comme dans des vidéos tutoriels. Au contraire, le discours développé par les influenceuses ressemble plus à une reprise du discours commercial de la marque. Les principaux verbes utilisés sont liés à l’usage des produits (« sentir », « tester », « mettre », « appliquer », « rincer », « nettoyer »…) ainsi que des verbes destinés à construire un discours de conviction (« aimer », « penser », « trouver », « adorer », « connaitre »).
Le discours critique est le plus souvent effacé ou lissé. Certaines influenceuses émettent des critiques, mais qui restent très personnelles et ne concernent pas un discours collectif. On notera parmi ces critiques :
- L’odeur de la gamme Orange Fondante (le mariage de l’orange et du chocolat)
- La déception d’avoir déjà acheté / utilisé un produit par le passé, et de ne pas faire une découverte au travers du calendrier
- La frustration d’avoir un produit qui ne correspond pas à son profil beauté
- La similarité avec les produits présents dans le calendrier de l’avent de l’an passé
3. Des avis qui masquent la critique
La monstration des produits s’est étalée sur de longues minutes, voire dizaines de minutes. La conclusion a pour objectif de fournir un avis condensé, mais surtout de construire une double accroche pour l’influenceuse.
Premièrement, en suscitant une réaction d’engagement ou d’achat (« dites moi en commentaires ce que vous en avez pensé », « je vous glisse les liens avec les promotions en description de la vidéo », « abonnez-vous à ma chaine ») et, ensuite, en renouant ce lien de proximité avec son audience (« on se retrouve pour une prochaine vidéo », « gros bisous et à bientôt »). Les principaux arguments de vente, et les produits « phares » sont évoqués de nouveau :
- Le rapport qualité prix (le prix du calendrier vs la valeur réelle des produits)
- L’esthétique du packaging
- L’image positive de la marque (« Yves Rocher ne déçoit pas », une marque française …)
- Le format des produits est clivant, entre les influenceuses qui apprécient les petits formats pour la découverte ou les emmener en voyage vs. celles qui auraient préféré des formats plus grands pour leur usage quotidien
- La variété des produits proposés, et avec beaucoup de produits bio : des soins corps / cheveux / visage, du parfum et du maquillage dans un seul et même calendrier
L’analyse des commentaires révèle la réception de ces vidéos.
L’analyse de la voix des influenceuses nous fournit deux informations : comment s’organise et se déploie le discours de ces consommatrices dans des productions plus ou moins directement stimulées par la marque ; et sur la réaction plus ou moins spontanée lors du test des produits. Les commentatrices, elles, n’ont a priori pas encore ouvert leur calendrier de l’avent. L’analyse des commentaires témoigne donc de la réaction d’une audience à la consommation d’une vidéo montrant les produits de la marque, plutôt qu’une réaction à la consommation même de ces produits.
Rappelons que notre corpus se compose d’environ 1500 commentaires. Le premier constat que l’on peut faire, c’est qu’il existe une asymétrie entre les principaux thèmes du discours des influenceuses et ceux qui émergent en commentaires de la voix des consommatrices. D’une part, les commentaires se focalisent plus sur le calendrier, que sur les produits pris individuellement, ce qui peut se comprendre comme la première étape d’une réflexion aboutissant à un potentiel achat. D’ailleurs, presque 5% des commentaires évoquent une intention d’achat.
Deuxièmement, d’autres thèmes émergent dans les commentaires en réaction à ce qui a pu être dit dans la vidéo. Ainsi, la taille des échantillons, l’odeur Orange-chocolat ou l’évocation de concurrents qui sont des sujets relativement peu évoqués par les influenceuses sont beaucoup plus présents en commentaires. Cependant, une analyse détaillée révèle que ces trois sujets sont des cas isolés, plus particulièrement influencé par le discours propre de certaines influenceuses dans leurs vidéos. Par exemple, on retrouve des commentaires concernant la gamme Orange Fondante essentiellement sous cette vidéo dans laquelle l’influenceuse déclare de manière répétée qu’elle n’apprécie pas cette odeur.
Yves Rocher reste de loin la marque la plus citée (165 occurrences) dans le corpus de commentaires. Cependant les commentatrices mentionnent plus fréquemment des concurrents que les influenceuses. On note la présence de Sephora (52 occurrences), YesStyle(38), Glossybox (27), The Body Shop (25), Blissim (25), Rituals (22), NYX (15), Amazon Beauty (15), Maybelline (10), …
Que retenir de cette analyse ?
- L’avent est un moment de communication essentiel pour les marques de produits cosmétiques. Celles-ci peuvent développer un storytelling complexe en cherchant des relais d’audience auprès d’influenceurs. C’est l’occasion pour ces marques de faire découvrir leurs nouvelles gammes de produits tout en créant un lien de proximité avec les consommatrices.
- Les influenceuses reprennent et étoffent le discours commercial de la marque. Ces vidéos d’unboxing durent plusieurs dizaines de minutes, touchent des audiences plus larges que la chaine officielle de la marque, et détaillent avec force une offre commerciale. Un discours de conviction est mis en place par les influenceuses, auquel un certain nombre de commentatrices (5%) réagissent en évoquant leur intention d’achat.
- La perception du produit peut être analysée à deux niveaux : la voix de l’influenceuse et la voix des consommatrices. Dans les deux cas, ces discours sont stimulés et ne sont pas spontanés. L’analyse de la perception permet d’analyser comment se structurent ces discours, comment ils se rejoignent ou s’éloignent par moment, quels sont les sujets phares évoqués par ces protagonistes…