Selon une étude IAB/ Médiamétrie publiée à l’été 2017(1), 63% des internautes regardent une vidéo tous les jours ou presque et 76% au moins 1 à 2 fois par semaine. Le groupe des 18-24 ans se distingue par une forte consommation: 84% d’entre eux regardent des vidéos tous les jours ou presque. Côté support, la préférence va à 73% vers les sites et applications dédiées, comme YouTube, suivis de près par les réseaux sociaux (72%, avec un net avantage pour les consommations quotidiennes).
Cette première question d’usage, montrant des disparités entre plateformes et temporalités de consommation, nous amène à nous demander si la réaction aux contenus se singularise sur les différents canaux. En effet, que ce soit pour les marques, les médias, les influenceurs, etc., la question de l’impact des publications, de leur rencontre avec l’audience souhaitée est primordiale. Est-il dès lors possible de distinguer des profils d’utilisateurs et des comportements différents de réaction aux contenus par exemple sur YouTube et Facebook ?
L’interface joue un rôle prépondérant dans la mesure de l’engagement des audiences, en mettant à disposition des usagers des fonctionnalités normées, qui auront des effets forts sur la manière dont se consomment les contenus et se structurent les échanges entre internautes.
La consommation du contenu
« Aller sur Facebook » signifie consulter le « fil d’actualité », à savoir un flux de contenus avec lesquels l’usager interagit ou non. En revanche, l’accès à YouTube s’effectue souvent par la volonté de voir un contenu précis, depuis les recommandations de la page d’accueil ou un player embarqué sur un autre site, comme ici un trailer de jeu sur un site dédiée aux actualités de la console Xbox. (trueachievements.com).
Plus de 50 % des utilisateurs savent à l’avance ce qu’ils veulent regarder avant de se rendre sur la plateforme(2). Au 1er trimestre 2018, environ 3 vidéos sur 5 sont vues sur mobile(3). Ce qui ne signifie pas forcément qu’elles le soient en mobilité, car 70% de ces usages auraient lieu au domicile, et seulement 36% à l’extérieur. Toutefois, nous pouvons supposer que ces contextes d’utilisation conditionnent quelque peu les réactions aux contenus. Selon une étude CSA publiée en début d’année(4), les moments de consommation préférés des 15-24 ans se situeraient dans l’après-midi (probablement grâce au mobile) et en fin de soirée, alors que leur consommation de programmes TV est importante le midi, en fin d’après-midi et en soirée.
La structure des interactions
- Commenter sur Facebook : les outils d’une réaction affective
L’approche consistant à étudier les commentaires des internautes sur ces canaux se révèle, dans ce cadre, particulièrement intéressante. En explorant les modalités d’expression des usagers, la création ou non d’une conversation entre eux, il est possible de se faire une idée de l’engagement qu’un contenu peut susciter et des motivations de cet engagement. Sur Facebook, le commentaire s’effectue en cliquant sur « Commenter » ou directement dans la zone prévue « Votre commentaire ». Les fonctionnalités additionnelles sont étendues : ajout d’émojis, de photos, de gifs ou de stickers.
Pour répondre à un commentaire déjà posté, il suffit de cliquer sur « Répondre » sous le commentaire concerné. Pour cette action, seuls les émojis et les stickers sont proposés. Si l’on souhaite mentionner une personne, entrer « @ » dans la zone de commentaire et taper les premières lettres du nom souhaité permet d’ouvrir un volet de suggestions de contacts.
- Commenter sur YouTube : des fonctionnalités contredisent un apparent manque d’outils conversationnels
Premier constat : contrairement à Facebook, les commentaires YouTube n’intègrent pas de bouton permettant d’insérer facilement émoji, gif, etc. Pour cela, il est nécessaire de faire un copier/coller depuis une base d’émojis, comme getemoji.com.
Par ailleurs, sur l’application YouTube pour smartphone, les commentaires n’apparaissent qu’après les recommandations liées à la vidéo visionnée ; il peut donc être nécessaire de swiper longtemps avant de pouvoir commenter. À première vue, nous pourrions penser que ces configurations n’invitent pas à la conversation entre usagers, contrairement à Facebook. Pourtant, simplement en regardant les premiers commentaires, le nombre de réponses paraît conséquent.
En outre, une fonctionnalité distingue YouTube du réseau social : la possibilité de faire référence à un minutage de la vidéo (simplement en entrant le moment souhaité sous la forme xx:xx). Cet usage est par exemple très utilisé pour connaître le morceau de musique utilisé. Il permet également d’engager la conversation sur un point particulier du contenu.

Quant aux mentions de personnes dans les commentaires, elles ont disparu avec Google+.
Constitution du dataset et premières explorations
Nous percevons déjà que ces structurations diverses des parcours utilisateurs peuvent engendrer, par des implications différentes, une disparité des réactions.
Pour confirmer ou infirmer cette intuition, comparons les réactions à une même vidéo postée sur Facebook et YouTube pour annoncer la sortie du jeu vidéo de hockey NHL 19 par EA Sports. Nous récupérons respectivement 6.213 et 2.066 commentaires d’utilisateurs. Cet écart peut s’expliquer par les différentes activations qui ont pu être mises en place afin de promouvoir l’un ou l’autre des supports (achat publicitaires, RP, etc.), de même que par le système de commentaires différent pour chaque interface, comme évoqué plus haut. Notons que le nombre de vues du trailer diffère également : 575 951 vues sur Youtube contre 1 077 444 pour Facebook.
NHL 19 vu à l’aune du jeu vidéo sportif
Les audiences des deux plateformes se rejoignent également sur leur faible appréciation des nouvelles versions du jeu NHL d’EA Sports et beaucoup annoncent ne pas envisager d’acheter NHL 19, malgré le nouveau mode « NHL Ones » (permettant aux joueurs de s’affronter en duel 1 vs 1 vs 1), dont l’arrivée est globalement appréciée. Cependant, en pratiquant une analyse lexicométrique de ces corpus de commentaires, il apparaît rapidement que les commentaires des usagers de Facebook et YouTube se distinguent sur plusieurs points. Première différence, le nombre moyen de mots par commentaire est bien plus élevé sur Facebook (14,5 mots) que sur YouTube (8,8 mots). Pour expliquer cette disparité, il est possible d’invoquer le fait que les usagers Facebook qui suivent la page EA Sports NHL (plus d’1 million de personnes) constituent une communauté de fans plus à même de commenter avec précision l’annonce de la sortie d’un nouveau jeu, car ils suivent de près l’actu de cette page. Les personnes qui ont vu la vidéo sur YouTube ont plus probablement été redirigées depuis un player embarqué par exemple sur des sites ou des blogs spécialisés dans les jeux vidéos (seules 12.000 personnes sont abonnées à la chaîne YouTube).
Par ailleurs, les commentaires Facebook se caractérisent par un fort ancrage dans l’univers du jeu vidéo sportif et comparent le jeu NHL 19 à celui développé par le concurrent 2K Sports, jugé bien meilleur.
Il est également évalué en fonction des autres jeux EA Sports (Fifa, Madden) établis comme modèles à suivre. C’est sur YouTube que nous trouvons les revendications les plus vives : les termes « Frosbite » (moteur de jeu utilisé sur Fifa et Madden, destiné à améliorer considérablement le graphisme) et « graphic » apparaissant proportionnellement davantage dans les commentaires de la plateforme vidéo.
Deux communautés en faveur de l’amélioration du jeu mais aux profils différents
Les usagers de Facebook s’identifient comme appartenant à une communauté de fans (le terme est cité 38 fois sur Facebook contre aucune sur YouTube) apte à demander à EA Sports d’effectuer les améliorations souhaitées depuis plusieurs années. En premier lieu, il s’agit de rétablir le mode Gm connecté qui permet de simuler un manager d’équipe. Sur YouTube, ce mode est très peu évoqué, à l’inverse du gameplay (5% des termes utilisés) et des « goalie animations ». De même, les différents modes du jeu sont davantage détaillés. À leur propos et au sujet du jeu en général, les propos sont plus directs, les insultes plus répandues.
Concernant les supports du jeu, il est intéressant de noter que la volonté de pouvoir disposer d’une version PC n’est mentionnée que sur Facebook (40 occurrences). Et alors que la PS4 et la Xbox sont davantage citées sur Facebook (consoles pour lesquelles le jeu est disponible), les usagers de YouTube évoquent majoritairement la Switch (2,85% des occurrences totales contre 1% sur Facebook), exprimant leur souhait de voir une version pour Nintendo.
YouTube, une communauté de l’expérience
Nous l’avons vu, les usagers de Facebook ont tendance à remettre en perspective la sortie du jeu NHL 19 avec l’univers du jeu vidéo sportif en général et les évolutions qu’il connaît. Leur parole de fan est vouée à être entendue par les concepteurs du jeu pour favoriser l’amélioration du jeu lors des versions postérieures, seul gage pour qu’ils envisagent d’acheter à nouveau le jeu. Le graphe des émojis utilisés par les utilisateurs nous montre que les réactions se polarisent autour de deux types d’affection représentés par les émojis « Tears of Joy » et « Heart Eyes ». Le premier, au regard des termes auquel il est associé, est à percevoir essentiellement comme ironique. La prépondérance de l’émoji « Heart Eyes » (216 apparitions) ne doit pas faire oublier les multiples émojis dénotant déception ou colère, cette variété de registre renforçant le caractère globalement négatif des commentaires.
Les usagers de YouTube se révèlent quant à eux davantage focalisés sur l’expérience de jeu, sur son graphisme. Leurs réactions sont plus intuitives (voire plus grossières !), comme le montre la classification effectuée.
Cet attrait pour l’expérience qu’ils vivent se confirme par l’intérêt montré pour le trailer produit par l’éditeur de jeux, particulièrement visible concernant la musique utilisée et qui distingue les utilisateurs YouTube de ceux de Facebook.
Ainsi, si l’on s’arrête à quelques métriques et à une première exploration des commentaires sur Facebook et YouTube, il peut sembler que leurs contenus sont globalement similaires. C’est uniquement en analysant ces commentaires grâce aux méthodologies du text mining que nous pouvons réussir à différencier les structurations des discours et donc les points d’attraction, d’attention sur chaque plateforme. Un moyen de pouvoir comprendre ses audiences et d’adopter des stratégies de communication adaptées.
À retenir :
- Les interfaces, par leurs fonctionnalités, contribuent à singulariser les usages de leurs utilisateurs et à engager des communautés qui, si elles partagent un centre d’intérêt commun, ne portent pas la même attention aux mêmes choses.
- En étudiant les commentaires d’une même vidéo sur Facebook et YouTube et en y appliquant des méthodologies de text mining, nous sommes en mesure d’en différencier les communautés.
- Dans le cas étudié ici d’un trailer de jeu vidéo, les usagers de Facebook se démarquent par la volonté de se constituer en communauté de fans qui espère vivement être entendue du développeur pour l’amélioration du jeu, largement comparé à ses concurrents.
- Les utilisateurs de YouTube sont quant à eux davantage centrés sur l’expérience de jeu et sur la qualité du trailer – notamment la musique utilisée.
Sources :
(1)https://www.iabfrance.com/etudes-chiffres/autres-etudes/video-comment-et-sur-quels-ecrans-sont-regardees-les-videos (retour)
(2)https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-YouTube/ (retour)
(3)http://www.ladn.eu/news-business/actualites-media/la-consommation-de-video-sur-mobiles-se-stabilise/ (retour)
(4)https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Thema-Toutes-les-etudes-realisees-ou-co-realisees-par-le-CSA-sur-des-themes-specifiques/Les-etudes-du-CSA/Videos-en-ligne-ou-television-chez-les-jeunes-publics-etude-econometrique (retour)